Notre quotidien est fait de dualité. En nous, chaque mot porte en lui son inverse. Chaque regard porte en lui ce dont il se détourne. Des choix qui portent en eux notre représentation d’un monde où chaque signifiant est aussi et en même temps une valeur, un jugement, et désigne intrinsèquement le contraire de ce signifiant, sa valeur ou jugement inverse.
Et c’est ainsi que nous croyons que si ce n’est pas bien, c’est mal. Et que si ce n’est pas mal, c’est bien. Que si c’est lumière, ce n’est pas obscurité. Et que si ce n’est pas obscurité, c’est lumière. Et chaque signifiant valorise et juge un signifié qui pourtant est parfaitement neutre en soi, car tout simplement existant. Et chaque signifiant, parce qu’il est valorisé et jugé, crée une tension : la tension de l’inverse. La guerre à l’inverse. Le combat contre le contraire. On croit qu’il y a des choses qui devraient être et des choses qui ne devraient pas être. Alors que être est la seule réalité.
Et si la réalité était sur la tranche, le fil, cet espace infini entre deux signifiants opposés, là où il n’y a plus d’opposition, de contraire, de tension ?. Juste la Réalité, qui englobe tout.
Ouvrir le regard au point qu’il englobe tous les possibles et leurs contraires, pour demeurer dans ce centre infini où rien ne vient interférer avec l’immobilité, cette paix pour laquelle il n’y a pas de contraires, pas d’opposés, pas de valeur.
La Réalité qui émerge lorsque nous nous abandonnons à l’expérience sphérique sans limite « ni tout cela, ni tout ceci » est un point, une densité de paix, d’immobilité intérieure. Un point d’abandon à cette réalité ultime, où nous cessons d’imaginer des conséquences, des contreparties, des échanges, des actions et réactions, qui interfèrent dans le déploiement de cette immobilité intérieure, et qui impriment alors une courbe à l’univers, une déformation : le cours de notre vie telle que nous la jugeons.
Grandir sur Terre, dans un groupe d’êtres humains, c’est faire l’expérience de l’apprentissage du parti pris, l’apprentissage de la polarité, où l’on croit que si « avoir raison » existe, alors « avoir tort » existe aussi. Or, il n’y a ni « avoir raison » ni « avoir tort ». (Et si personne n’a raison ni tort, alors personne n’est coupable). A chaque fois qu’on se fait avoir par la dualité on génère la possibilité même d’une croyance souterraine en un Dieu et un Diable. Et à partir de là, toutes les croyances duelles existent et prennent appui sur cette première croyance originelle. Croyance du vrai et du faux, et ainsi de suite.
Abandonner cette croyance en toutes les polarités, en l’existence même de la polarité, crée une concentration immense d’énergie en un point central où tout cela n’existe pas. L’idée même de vérité n’existe pas car il n’y a pas de mensonge possible. C’est un point où il n’y a pas d’ignorance possible, l’ignorance n’existe pas. La vérité / le mensonge, le vrai / le faux, l’innocent / le coupable, l’amour / l’absence d’amour n’existent que parce qu’on prend parti, que parce qu’on n’est plus dans ce centre. Être dans le centre, c’est au micron près, c’est un point infinitésimal. Et à cet endroit, il ne peut pas y avoir d’ignorance car il n’y a pas de parti pris, il ne peut pas y avoir d’oubli non plus parce qu’il n’y a pas de parti pris. Il n’y a pas d’absence, pas de polarité. Ce point est extrêmement dense. Ce point est un point où la lumière n’existe pas, elle n’éblouit pas, ce n’est pas une lumière blanche, ni colorée. Le sombre n’existe pas non plus, il n’y a pas la possibilité de ne rien voir. Il n’y a tout simplement pas de lumière ni de sombre. La lumière n’existe tout simplement pas, l’idée même de lumière n’existe pas. il n’y a pas de lumière donc il n’y a pas son contraire. Il n’y pas de choix possible entre quelque chose qui serait de la lumière et quelque chose qui serait du sombre. Il n’y a pas de choix, car il n’y a pas de polarité.
Le temps n’existe pas. Sans l’illusion du passé, on vit chaque instant sans l’expérience du précédent. Ce qui signifie qu’on pourrait vivre minute après minute la même situation, mais minute après minute il se passerait quelque chose de tout à fait différent (ou non). une situation où quelqu’un viendrait à nous, entraînerait des réactions tout à fait différentes instant après instant parce qu’aucune de ces situations ne seraient perturbées par une expérience précédente. Chaque instant est vécu avec ce qui est là. On arrête de croire dans l’expérience passée et de son enseignement. Parfois la réponse juste à une situation c’est d’aller vers cette personne, parfois c’est de partir, parfois c’est de mourir, mais toutes ces réponses n’ont aucun lien avec le passé, elles viennent uniquement de l’instant. S’il n’y a plus cette croyance-là, d’un passé générateur de présent, alors on ne crée plus de Karma. Ça n’existe plus.
Le karma vient de la croyance que chaque action crée une dette ou une créance. Parce que l’on croit que l’on est à l’origine d’une action et qu’on juge cette action depuis l’espace de la polarité. Mais si l’on sait (se souvient) qu’il n’y a ni dette ni créance, que chaque action s’épanouit sans mémoire ni passé, alors il n’y a pas création de karma.
Détachons-nous de notre attachement à la mémoire, au bagage. Détachons-nous de notre amour de nos mémoires, cet attachement vient interférer dans la possibilité de vivre l’instant unique. Quand il y a mémoire, il y a prise de parti. La mémoire est une croyance, une illusion, qui vient de l’illusion du temps, de l’illusion du passé, présent, futur. Se souvenir, c’est savoir, et savoir c’est savoir la totalité. Un peu comme si vous vous souveniez du futur autant que du présent autant que du passé.
Notre propre gravité est notre centre, notre centre est notre gravité. Soit on décide d’être tout le temps et entièrement attiré par notre propre point de gravité, soit on se laisse prendre par la gravité d’autres points. En même temps, tous ces points viennent bien du même endroit et vont bien au même endroit, (sans aller nulle part, et venant de nulle part. Sans aller ni venir). Si on se laisse attirer uniquement par notre centre de gravité personne d’autre ne peut être pris par notre centre de gravité. Et bien sûr, on ne peut être pris par le centre de gravité d’aucun autre point.
Il s’agit de s’abandonner à son propre centre de gravité comme si c’était un trou noir et de se laisser entièrement s’effondrer à l’intérieur, indéfiniment, éternellement, c’est à dire sans temps. (Eternellement = espace sans temps = espace point = espace instant unique).
Tous ces centres de gravité que l’on prend pour des vies ne sont en fait que les « atomes » de cette « lumière », qui n’en est pas une, de la source qui n’en est pas une, car elle ne jaillit pas, elle est. Ce sont juste des points de gravité une infinité de points de gravité qui ont leur propre gravité qui s’attire elle-même, qui s’effondre sur elle-même à l’intérieur d’elle-même, juste un point. Tous ces points ne forment qu’une seule existence, qu’une seule vie, qu’ « un seul ». Ce Un. Et ce UN, c’est cette source dont certaines personnes parlent, comme si elle était à l’extérieur. (L’existence d’une source, est elle-même une illusion. cette illusion génère encore l’idée de polarité : une origine et une descendance, un centre et une périphérie. Il n’y a pas de point central auquel tous les points de gravité sont reliés.)
Nous avons l’illusion que nous sommes des personnes individuelles alors que tout n’est que points de gravité. Chaque point de gravité est la « source ». Il y a mouvement de ces points de gravité lorsque ces points de gravité se laissent attirés par les autres points de gravité. Plus les points de gravité s’effondrent sur eux même et ne s’attirent entièrement et complètement que par leur propre gravité, plus l’immobilité se déploie, il n’y a plus d’agitation, il y a juste cet état d’être immobile qui est alors perçu. Cet état d’être immobile, être ce point de gravité qui s’effondre sur lui même à l’infini, qui ne s’attire que lui-même entièrement, c’est être la totalité de tous les points de gravité, chacun fractal de la totalité.
Ce qui est reconnu, c’est qu’il n’y a pas de source, pas de descendant, pas de centre ni de périphérie, juste un UN, chaque point est ce UN dans sa totalité (fractal). (C’est erroné de dire que chaque point est une partie du UN. Chaque point est cet unique UN. C’est un point qui est la totalité.)
Le fait d’être enfin dans sa gravité, de s’effondrer indéfiniment dans sa propre gravité attire notre point à une vitesse qui n’existe pas, qui est sans vitesse, dans une immobilité qui nous fait être la « source », ou plus exactement qui nous permet enfin de percevoir que nous sommes la « source », c’est à dire la totalité. Lorsqu’il y a des gravités qui se prennent au jeu d’être attirées par les gravités des autres points, ça crée ce mouvement qui donne l’impression que ces points vont dans le sens opposé à la « source », (alors que c’est impossible puisqu’ils sont aussi la source.) C’est l’illusion de séparation.
On est juste des petits points de gravité immobiles et tous ensemble nous formons qu’une seule vie sans être des éléments de cette vie, puisque nous sommes chacun la totalité de cette unique vie.
Une seule vie = tout ce qui se produit c’est cette seule vie. S’il n’y a qu’une seule vie, tout le temps (c’est à dire éternellement), Il n’y donc qu’une seule conscience, qu’une seule existence. (Eternellement = espace sans temps = espace point = espace instant unique)
Ainsi, lorsqu’on dit mon fils, mon frère, mon ami, l’arbre, le chien, le chat, on se trompe complètement et on pourrait juste dire JE. JE miaule, JE mange des croquettes, JE creuse avec mes racines le sol que JE suis (JE creuse JE avec les racines de JE), JE fane, JE meurs, JE tape JE, JE viole JE, JE détruit JE, JE donne naissance à JE, J’embrasse JE, JE prends JE dans les bras de JE, JE crie JE, JE chuchote JE, J’entends JE. ET bien sûr ce JE, ce n’est pas moi.
Et puisqu’il n’y a qu’une seule vie qui existe, et rien d’autre, lorsqu’on perçoit ça, on est dans l’amour de ce qui arrive tout le temps, et plus exactement on est l’amour de ce qui arrive tout le temps, parce que l’autre n’existe pas tout simplement, il n’y a qu’une seule vie, qu’un seul JE. Si à chaque expérience on cesse de voir l’autre, et que l’on voit cette unique vie, alors on sort des illusions, des récits, des histoires. il n’y a plus cette illusion du moi, on est l’unique vie. Plus exactement, l’unique vie est. On comprend que si il n’y a qu’une unique vie, alors JE suis partout, dans toutes les dimensions, dans toutes les expériences, tout le temps, à chaque instant.
Il n’y a même pas « chaque instant » car il n’y a rien après quoique ce soit, c’est juste du simultané incessant, éternel. (Eternel = espace sans temps = espace point = espace instant unique)
Daphne Labbé de Montais
