Je crois que l’expérience majeure de notre existence dans le domaine de la libération, de la guérison, de la résilience, de la résolution, devient la focale à partir de laquelle toutes nos pratiques thérapeutiques œuvrent. Cette expérience devient notre point d’action. C’est un peu ce qui est à l’origine du big bang, qui le rend possible, et en même temps qui définit tout ce qui éclora du big bang. Ce point d’action façonne notre cadre thérapeutique, oriente tous les « objectifs ». C’est notre point de départ en même temps que notre point d’arrivée, c’est notre univers qui contient notre origine, notre quête et notre devenir.
L’expérience majeure pour moi, à ce jour, a été une période d’éveil de quelques mois. Cette existence sans centre, pour reprendre l’expression « life without a center » de Jeff Foster, a révolutionné, orienté, tracé, toute mon existence. Elle est devenue un point de départ, après avoir été une quête et un point d’arrivée. Aujourd’hui, c’est à la fois un horizon et un présent.
Ces quelques mois ont inscrit une brèche profonde en moi, une falaise à partir de laquelle je saute régulièrement, je me laisse tomber, je m’abandonne, sans que la trajectoire ne soit celle, systématiquement, de la pierre. C’est une expérience sur laquelle j’aime être silencieuse. Je sais à quel point l’éveil attire, séduit, crée un désir… et donc la possibilité de créer un rêve, une demande, un espoir.
Revenons à cette falaise. Cet espace où il n’y a aucun parti pris, ni droite ni gauche, ni haut ni bas, ni vrai ni faux… il y a juste un espace, qui n’est pas vide, qui est la totalité, un souffle continu sans contrainte. Cet espace depuis lequel s’élève le geste, la parole, le silence, l’accueil confiant sans jugement et indéfectible de l’expérience, la paix, une gratitude infinie et continue. Cet espace, ce n’est pas « je », ce n’est pas « tu », ce n’est pas « il », c’est un « entre », un « entre » qui se dilate, se rétracte ; un « entre » qui n’est pas une distance ni une séparation, c’est un « entre » où il n’y a qu’un Un.
Cette expérience est devenue mon origine, ma quête, mon arrivée, mon univers. Cette falaise, c’est « ma méthode », mon repaire, mon « home ». Lorsque je rencontre une difficulté, quelle qu’elle soit, c’est là que je vais, pour m’abandonner, pour sauter, pour disparaître. C’est là que toute résolution, toute évaporation, toute résorption, toute dilatation, toute densification a lieu. C’est là où je rencontre la densité du « entre ». Cet « entre », parce que ce n’est pas une séparation, est un « entre » qui unit, non pas ce qui était désuni, mais ce qui croyait être fragmenté et séparé.
Lorsque j’ouvre un champ de résolution en constellations familiales et systémiques, c’est depuis cet espace du « entre, afin que chaque constellation soit un prétexte à rencontrer cette paix, ce silence, cette liberté. Pour que chaque constellation soit un prétexte à faire naître une quête, celle du Un, celle de la fin de la plainte. Pour que chaque constellation soit l’opportunité d’expérimenter, ce serait-ce qu’une seconde (une seconde suffit) le silence.
Étape après étape, constellations après constellations, des incursions. Des incursions dans cet « entre » immobile, dans cet « entre » plein, qui ouvrent petit à petit une brèche.
Cet « entre » en paix, c’est l’espace du non agir. L’inverse du non agir, ce n’est pas l’action, mais l’interférence. L’espace du non agir, c’est l’espace où la parole, la pensée, l’imaginé, le geste s’élèvent sans réaction, sans orientation, sans passé ni futur, sans intention. Cela s’élève sans qu’il y ait un moi.
C’est l’origine, le cadre, l’horizon de ma pratique.